Once

Il ne faut pas s’attendre à quelque chose de spectaculaire. Ce n’est ni spectaculaire, ni incroyable, ni extraordinaire, l’amour. Ce n...

Il ne faut pas s’attendre à quelque chose de spectaculaire.
Ce n’est ni spectaculaire, ni incroyable, ni extraordinaire, l’amour.
Ce n’est pas se mettre d’un coup à parler des heures avec cette personne nouvelle que l’on vient de rencontrer. Ce n’est pas grandiloquent. Ce n’est pas comme au cinéma. Quand Harry rencontre Sally et ne peut plus s’empêcher de blablater. Quand le bateau coule et que l’on doit faire un choix. Quand il s'avère être l'ennemie juré. Des fois, il n'y a pas de choix à faire. Pas d’engagements à prendre dans la minute, pas d’événements qui changent l’Histoire. Parfois les forces de la nature ne se dressent pas contre nous. Ni le destin. Ni dieu. Ni une belle-mère chiante. Des fois il ne faut se battre contre rien. 
Des fois, il n’y a pas d'autre iceberg que celui au fond de mon verre.
Des fois on est juste dans un bar. Non, en fait, pas vraiment dans un bar. Dans une salle de concert mais accoudée au fond de la pièce, au bar. Des fois on est là parce qu’il y a une histoire, parce qu’on devait être là avec quelqu’un d’autre. Un autre qui, au dernier moment, a dit qu’il ne viendrait pas. 
Alors on a bien appliqué son maquillage malgré les cils gonflés de larmes. On a changé trois fois de tenues pour trouver un peu de courage et ça nous a fait arriver un peu en retard d'ailleurs. Le concert avait déjà commencé, il y avait du monde alors on n'a même pas essayé de s’approcher un peu de la scène. On a jeté son sac contre le bar en se faisant une place. De quoi poser son coude sur le zinc froid et auréolé de dizaines de marques laissées par des verres dégoulinant, maintenant disparus. 
Une Guinness. 
Deux Guinness. 
Trois peut-être. Non la troisième, c’est lui qui l’offre. Il s’approche, nous regarde alors on le regarde. Rien de spectaculaire. Un regard. Un commentaire sur le concert, sur ce qui se passe au loin, si loin. Sur ce qu’on n’entend déjà plus. Sur ce qu’on ne voit pas parce qu'on le regarde lui. Rien de spectaculaire. Un regard. Un commentaire. Qui se termine par un sourire et on ne peu plus bouger les yeux. Puis on baisse la tête. Ce n’était qu’un commentaire. Rien de spectaculaire. On baisse la tête comme pour passer à autre chose. Sauf qu’on sourit à son verre. 


Bref une troisième Guinness. Une quatrième. Prénom. Ville de naissance. Profession. Et une autre bière, cette fois une simple pression parce qu’on a presque plus de monnaie. Il emprunte quelques pièces à ses amis qui se tiennent maintenant un peu en retrait, s’amusent de l’évolution et plaisantent que si c’est eux qui payent, ils aimeraient bien récupérer le numéro de téléphone de la fille aussi. On sourit toujours quand il propose que l'on se revoit. On joue avec son verre de bière. On s'échange nos numéros. Il sort fumer une cigarette. On fait des dessins sur la condensation du verre, du bout du doigt. 
Je crois que je l'aime bien. 
Je ne me rends pas de suite compte que le concert est fini, mais rapidement la salle de vide. Je sors mais je ne le vois pas. Pourtant je suis perchée sur mes chaussures porte-bonheurs. Des escarpins vernis rouges. Ceux que je mets quand je me saoule toute seule à la maison. C'est pour ça qu'ils sont tout craquelés et qu'il n'y a presque plus de gomme sur le talon. D'ailleurs on entends le clic de la tige de métal à l'intérieur du talon à chaque pas. 
Je rentre chez moi en marchant lentement. 
Clic. Clic. Clic. 
J'étais seule à un concert où j'aurais dû être accompagnée. 
Je suis allée à un rencard seule alors que j'aurais dû m'écrouler sur mon lit avec une bouteille de vodka. 
Je suis arrivée en retard alors que je ne rate jamais un début de concert. 
Je suis restée accrochée au bar alors que je suis une habituée des premiers rangs. 
Clic. Clic. Clic. 
Je rentre chez moi en pensant à quelqu'un en souriant, alors que j'aurai dû penser à un autre garçon en pleurant. 
Clic. Clic. Clic.
Peut-être que c'est un peu extraordinaire. 
Pourquoi pas après tout.


[Once, c'est aussi un sublime film. Une "comédie musicale" mais pas un truc kitsch avec des costumes ridicules. Glen Hansard, chanteur du groupe Irlandais The Frames, donne la réplique à la jeune Markéta Irglova, et quand ils se retrouvent autour d'une guitare ou d'un piano, ça file la chair de poule. ]

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7 commentaires

  1. toujours aussi prenant ta prose ....on baise la tête ,t'es sûre....

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    1. Oula! J'ai honte de ma faute de frappe, merci de me l'avoir fait remarquer.
      Pour un fois que je ne parlais pas de sexe...;-)

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  2. Très jolie histoire et très bien écrite.
    Et qui sait, peut-être le début d'un film ;)

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  3. le baise la tête y était deux fois ...et tu ne l'as corrigé qu'une fois ...je suis prof d'histoire, tu peux pas savoir le nombre de courbes de natalité qui "baisent", je me retiens d'écrire dans la marge qu'effectivement c'est comme ça que la natalité augmente....

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  4. Joli texte... comme toujours et joli film au propre comme au figuré. Tu as bon goût... Les belles choses ne s'annoncent pas. Elles sont justes là et vous surprennent par leur évidence.

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  5. Prose pleine d'authenticité ! Keep going.

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