L'adieu
22:32J'étais sur le pas de la porte.
Sur le point de partir.
Un
lourd sac à dos cisaillant mes épaules, une énorme valise appuyée
contre le mur, dans le couloir. Mais j'ai mis tellement de temps à
essayer de rentrer la clé dans la serrure que la minuterie s'est
éteinte. Mes mains tremblaient trop ou la serrure n'avait soudainement
plus la bonne forme, mais il m'était impossible de fermer cette foutue
porte, de la fermer pour la dernière fois. Avec mon nom sur la plaque
qui serait bientôt retiré. Mon nom à côté du sien. Et maintenant, j'étais dans le noir, le corps endolori par des allers-retours chargés ou juste par les vagues incessantes d'amertume qui m'avaient gardé éveillée des nuits durant.
Et d'un coup, c'est devenu insoutenable, je savais ce que j'avais à faire avant de tout quitter, j'ai rouvert la porte.
C'est bizarre, en six ans, je n'ai pratiquement aucune photo de nous deux, mais là,
depuis une semaine, j'avais eu besoin de garder des traces de chaque
instant. Je me suis prise en photo dans l'ascenseur les yeux rougis. Je
me suis prise en photo dans le hall d'entrée avec tout un tas de sacs à
mes pieds. J'ai pris les cartons entassés et les espaces vidés. Je suis
devenue obsédée par mon visage, nu, démaquillé, gris et fatigué. Je l'ai
longuement scruté comme si j'avais peur de l'oublier maintenant qu'il
n'y avait plus personne pour le regarder, pour l'embrasser. Ou peut-être
que je voulais juste me souvenir de la personne que j'étais
au moment où je prenais cette décision, la première qui allait vraiment
compter. Mais là, au moment de partir, je me suis souvenue de quelque
chose que je n'avais pas envie d'oublier et que pourtant je n'arriverais
jamais à capturer.
J'ai rouvert la porte. Je suis passée devant la penderie. A moitié vide. Plus que quelques cintres nus sur ce qui avait été mon côté. Je suis passée devant l'étagère. A moitié
vide, où des dessins de poussière laissaient deviné le contour
qu'avaient eu mes livres. Sur le mur, une ombre rectangulaire où le
papier peint m'avait pas vieilli comme dans le reste de la pièce, là où
une affiche de cinéma avait maintenant disparue. J'ai pris tout ca en photo, pour me souvenir de chaque détail.
J'ai plongé une dernière fois dans ce qui avait été notre cocon, notre monde, ce qui ne sera à
jamais notre seul univers, je me suis précipitée au-dessus du lit et
j'ai attrapé son oreiller. J'y ai plongé mon visage et j'ai inspiré
bruyamment. Son odeur. Mon dieu, son odeur. Ca suffit à me rassurer, à faire baisser mon rythme cardiaque. Ca
sent tellement bon. Cet endroit juste derrière son oreille que j'adore
embrasser et qui me permet d'avoir le nez dans ses cheveux, le creux de
son cou. Je ferme les yeux. Je suis à la maison et tout va bien.
Cet
oreiller a exactement cette odeur et je ne connais rien de plus doux au
monde. Je voudrais pouvoir l'emprisonner, la mettre sous vide, cette
odeur, parce que je sais qu'elle va me manquer à m'en crever le coeur.
Je repense à toutes ses journées que j'ai commencées
en lui piquant son oreiller. Il part travailler deux heures avant moi
alors dès qu'il quitte le lit, je lui vole son oreiller qui est bien
plus confortable que le mien et je somnole. Je l'écoute se préparer son
café et se rouler une cigarette, les yeux fermés, le nez dans son odeur.
Je me rendors doucement jusqu'à ce qu'il vienne m'embrasser et me souhaiter une bonne journée. En six ans, j'aurais pu investir dans un second oreiller en plumes, mais la vérité, c'est que ce qui m'a toujours plu, c'est le fait que ça soit son oreiller. L'endroit où il repose ses rêves.
J'ai
respiré pendant de longues minutes son oreiller, debout au milieu de la
pièce, engoncée dans mon manteau, encore harnachée dans ce sac à dos. Puis, je l'ai serré contre ma poitrine. Dans mes écouteurs, il y avait Alex Turner qui chantait « if you like your coffee hot, let me be your coffee pot » j'ai trouvé ça beau et ça m'a fait sourire. J'ai serré l'oreiller encore plus fort comme si je serrais
l'homme que j'avais aimé parce que je savais que je n'aurais plus
jamais le droit de le faire, qu'il ne me laisserait pas, que je n'en
aurais probablement pas envie en le voyant devant moi, par fierté, par
retenue, par colère, parce que je lui en veux de nous avoir laissé mourir sans rien
tenter. Alors que cet oreiller qui n'avait rien demandé n'avait pas de
visage. Pas le visage des derniers instants, pas les yeux fuyants des
dernières semaines ou des lèvres qui s'entrouvrent pour ne finalement ne laisser échapper aucun son, des derniers mois que je déteste. Il a juste l'odeur d'un grand bonheur, du bonheur d'avant. « i wanna be yours, i wanna be yours... ».
Et comme toujours, ça a réussi à me calmer. Il a réussi à me calmer. Ca a duré de longues minutes et j'ai eu le temps d'entendre plusieurs chansons sans savoir lesquelles ni ce qu'elles racontaient, mais les larmes se sont arrêtées
de couler. J'avais un peu mal aux bras et ça n'a pas été facile, mais
petit à petit, j'ai relâché mon emprise. J'ai respiré longuement
plusieurs fois par la bouche, ma poitrine s'est soulevée en
tressaillant. J'ai ouvert les yeux sur cet oreiller, je l'ai regardé en hésitant, mais juste pour vérifier, la dernière des dernières fois, je l'ai approché pour le sentir avant de le reposer sur le lit.
Et je jure qu'il s'est passé quelque chose de magique ou de surnaturel, parce que ça avait disparu. Il n'y avait plus son odeur. Ou elle ne voulait plus rien dire, mais ce n'était plus là.
A la fin, il ne restait plus rien. Rien qu'une odeur de tabac froid.
9 commentaires
Je ne sais pas trop quoi dire...
RépondreSupprimerA part que ton texte est très beau même si le fond est triste.
Je te souhaite un beau nouveau départ ma belle <3
C'est gentil, merci! C'est bizarre parce que je l'ai vécu (et écrit dans la foulée) il y a plus d'une semaine et, du coup, j'ai eu le temps de m'en détacher...
SupprimerJe n'ai jamais vécu ce que tu vis. La seule fois où j'ai décidé de quitter un homme, c'était une question de véritable survie et je le détestais. Je l'ai mis à la porte avec beaucoup de joie.
RépondreSupprimerMais si un jour, l'histoire que je vis aujourd'hui devait se finir ...
Son odeur, ses baisers le matin avant de partir, les bruits qu'il fait avant d'aller travailler pendant que je dors sur son oreiller tout chaud .. Cette intimité là, douce, ronde, que tu décris si bien ..
Merci de partager ce moment si symbolique et important. Ce moment où son odeur t'a rassurée une dernière fois puis a cessé de te stimuler. Ce moment étrange qui te fait passer à autre chose.
C'est très sincère.
Merci pour ton message, c'est vrai que je pensais qu'une page qui se tourne, ça serait quelque chose de long et d'indéfinissable et finalement, ça a été quelque chose de très concret...
SupprimerIl est si joli, ce texte. Bravo et merci de nous laisser nous immiscer dans ce moment. Le parfum de mon chéri sur l'oreiller, ça me rend dingue aussi, surtout lorsqu'il n'est pas là et qu'elle perdure pendant deux ou trois nuits.
RépondreSupprimerA ton nouveau départ !
Haha Je suis persuadée que l'amour à quelque chose de chimique! On craque aussi bien pour une odeur que pour un sourire! Et merci!
Supprimertu décris si bien ce moment d'intimité... triste et... cette fin... l'odeur est essentielle dans une histoire. Surtout celle sur l'oreiller. Je te souhaite que cette page se tourne pour ton plus grand bonheur. :)
RépondreSupprimerYou rock and never forget we run the world.
RépondreSupprimerOn est toutes passées par là, je suis passée par là, et putain savoir qu'on a survécu nous donne un pouvoir inimaginable.
<3 Love babe
je viens de chez Mona et...tes mots sont sublimes. Ils m'ont touchés énormément.
RépondreSupprimerMerci. Et la vie est belle, malgré tout.