Une femme battue est une femme violée

J'ai mal aux jambes.  Je suis restée trop longtemps assise par terre, les pieds plaqués sur la porte pour l'empêcher de trembler,...

J'ai mal aux jambes. 
Je suis restée trop longtemps assise par terre, les pieds plaqués sur la porte pour l'empêcher de trembler, le dos collé contre le mur opposé. J'avais peur de ce qu'il se passerait si le verrou lâchait. Et même si ses cris ont cessé depuis plusieurs heures, je n'arrivais à bouger. Je voulais être sure que c'était fini.
Je sors de la salle de bain sans faire de bruit. Toutes les lumières de l'appartement sont éteintes. Si je passe la nuit sur le canapé, je sais que ça l'énervera. Alors, je monte les marches sur la pointe des pieds, me figeant, en équilibre sur une jambe, au moindre petit grincement du bois. Il dort. Du sommeil du juste, apparemment. Largement étendu dans le lit. Je soulève un coin de drap en retenant ma respiration. Le sort est avec moi, les ressorts du matelas ne font pas le moindre son quand je m'allonge en chien de fusil.
Je ne dors pas. Je ne dors plus jamais. Je fixe les chiffres inscrits en rouge sur le réveil électronique. Je peux presque entendre un léger cliquetis à chaque changement de minute. 
Puis je l'entends se retourner. Il vient se coller contre mon dos. Je fais semblant de dormir. Il plonge son nez dans mes cheveux. Je ne bouge pas. 
Il dit qu'il est désolé et je serre les paupières à m'en faire éclater les yeux. Sa respiration s'accélère sur ma nuque. Je sens son haleine chaude. Il a envie de moi. Et moi, j'ai envie qu'il crève.
Je cherche à disparaitre entre les replis du drap alors qu'il balade sa bouche sur ma joue et aspire le lobe de mon oreille. Mes mâchoires sont serrées et mes yeux toujours clos. Mais il n'a pas besoin de moi. Sa main remonte de ma cuisse vers mes hanches puis vient faire pression sur mon ventre, sous le tissu de mon vieux tee-shirt. Je me débats comme pour me réveiller d'un mauvais rêve. Je pourrais le repousser. Je pourrais me lever. Ses mains ne sont pas si fortes, après tout. Je pourrais le tuer. "Arrête de bouger". Mais ses mots oui. 

"Tu sais bien que je t'aime". Et il veut me le prouver, il veut me faire l'amour. Il veut que je le regarde droit dans les yeux pendant qu'il jouira en moi et il veut que j'aime ça. Il veut mon absolution.
Je t'aime. Je t'aime. Je t'aime. Il répète ces mots comme une prière en même temps qu'il passe sa langue rapeuse sur mon visage. Il halète comme une bête. Chouine comme un enfant. "Je voulais pas faire ça". J'ai la nausée et les tempes prêtes à exploser.
Je suis maintenant sur le dos. Et il est lourd sur mon corps, j'ai du mal à respirer. Il caresse mes cheveux. "Tu sais que je t'aime, hein?". Je ne réponds rien. Je me concentre sur le plafond. Le grand plafond blanc. Il plonge sa langue dans ma bouche. Je me sens partir en arrière, comme si je tombais du 20ème étage au ralenti. Je m'enfonce dans le matelas, entre les ressorts qui écorchent ma peau et la aoute qui m'entoure, qui m'étouffe. Je ne suis plus là. Mon front se plisse, mes dents se resserrent sur la chair de mes joues. Il y a le goût de la mort dans ma bouche.
Son sexe agresse le mien. Le plafond est blanc. Il gémit. Blanc et gris. Le jour qui se lève et les ombres des branches secouées par le vent. Il continue de psalmodier même s'il est essoufflé. Un petit tas de poussières accrochées au plafonnier forme un dessin. "Il n'y a que moi qui t'aime". Une constellation. La Grande Ourse, peut-être. Il bave sur mon épaule. Je sais pas ce que je raconte, j'y connais rien aux étoiles. Ses vas-et-viens s'accélèrent. Faudrait que je trouve un bouquin sur le sujet. Sa main est autour de mon cou.

Quand il a fini, je me retourne vers les chiffres lumineux du réveil qui continuent de se transformer. Je laisse échapper un lourd soupir, un râle comme un cri silencieux. Mes yeux s'embrument et les chiffres deviennent flous. Mais le temps continuer de tourner. Le monde ne s'est pas arrêté.



J'approche les lèvres de la tasse de thé qui brûle mes mains et souffle pour refroidir le liquide. Je laisse la buée s'accrocher aux verres de mes lunettes et me rendre aveugle pour ne pas le voir entrer dans la pièce. Mais sa voix suffit à me glacer le sang.
"Bonjour, chérie"

2008

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18 commentaires

  1. Glaçant... mais si bien écrit.
    Djahann

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  2. Pareil, je ne sais pas quoi dire, et en même temps fermer la page sans rien dire ça me gêne...

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  3. Wow, une bonne claque dans la gueule.
    Même quand tu raconte ça, je peut pas m’empêcher de me dire que tu écris bien, que tu choisis chaque mot comme avec un soin obsessionnel.
    Je ne sais pas quoi ajouter, mais je ne peut définitivement pas fermer ton blog sans rien écrire.
    Pensée.

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  4. Révoltant, abjecte, dégueulasse ! Je n'ai pas de mots assez forts pour exprimer ma colère et ma tristesse en lisant cet article.

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  5. wouah... j'aimerais dire plein de choses, mais pas grand chose ne sort... j'aimerais juste te serrer très fort... pour te protéger... c'est trop tard :-( .... on a tellement l'impression de le vivre en même temps, que çà me chamboule.. des pensées et des bisous, avec la plus grande douceur...

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  6. sans mot... si... colère... souffrance... mais ce sont des trop petits mots devant un tel texte, une telle douleur.

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  7. Je ne sais pas trop pourquoi j'ai écrit ce texte mais je ne voulais pas tomber dans le patho, me faire plaindre ou vous mettre mal à l'aise (pour le coup, c'est moi que ça gène si c'est ce qu'il s'est passé), j'avais juste l'impression que c'était un côté de la violence dont on ne parle pas beaucoup... merci pour tout vos messages (c'était il y a longtemps et tout va bien :-) )

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  8. Cette douleur est atroce et tu la décris très bien. C'est cru, angoissant et ça se passe toujours comme çà, l'après-humiliation.. Lui, il n'a pas honte de coller son corps contre le notre et nous endurons, parce qu'il nous aime après tout et c'est sa façon de nous le prouver, la pire façon, c'est tout.
    Tu as osé mettre des mots et je t'en remercie, moi je n'ai toujours pas eu ce courage. Je me sens encore trop moche pour ça.

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  9. Ce texte est incroyable, dans le sens où, en le lisant, j'ai eu l'impression d'être cette femme qui souffrait, et après ma lecture, je me suis sentie mal, vraiment.

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  10. Superbe et angoissant.
    Et puis, une question: pourquoi on n'a pas le courage de dire non, je ne l'ai pas eu non plus.

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  11. Je me sens tout femme après cette lecture... J'aime énormément la façon avec laquelle tu retranscris tes émotions. On lis comme si on voyait à travers tes yeux et c'est juste fabuleux.

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  12. en effet c'est dur, merci à Marie de m'avoir fait lire ce texte touchant

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  13. Merci pour ce texte qui m'a fais réfléchi...
    Les mots semble tellement réels qu'ils m'empoignent sans le vouloir et me font ressentir par une certaine empathie cette expérience douloureuse souvent gardé sous silence.
    Encore merci d'avoir le don de trouver tes mots <3

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  14. Terrible... angoissant .. cru ... mais tellement vrai
    je suis désolée je n'ai pas su retenir ses larmes qui se sont échappées sûrement signe que les blessures sont encore la, bien présentes
    je n'ai pas su dire " non " non plus et je n'en ai pas eu la force pendant longtemps
    merci pour ce billet merci d'avoir su trouver les mots sur cette douleur cette mocheté de l'amour que l'on ne sait pas souvent exprimé et dans la quelle on se sent tellement impuissante
    merci !!!!

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