La nuit je mens

Ma mère se souvient du jour de la mort de Brassens, parce que quand elle a entendu la nouvelle à la radio, elle était entassé dans une R5 a...

Ma mère se souvient du jour de la mort de Brassens, parce que quand elle a entendu la nouvelle à la radio, elle était entassé dans une R5 avec ses frères et soeurs, en route vers l'enterrement d'un oncle lointain.

Il y a des événements éloignés de notre vie qu'on couple à d'autre, plus important, et sans le savoir, on s'en souvient toute une vie.

Je me souviens du jour où Bashung est mort parce que c'est le jour où j'ai perdu mon meilleur ami. 



Je pourrais aussi dire que c'est le jour où j'ai enfin eu la présence d'esprit de quitterle connard. Mais comme son nom l'indique, c'est un connard. Et à chaque fois que j'écoute du Bashung, c'est à mon meilleur ami que je pense. Pas à lui. Même si je n'ai pas parlé à mon meilleur ami depuis près de trois ans.

Je venais donc de quitter le connard. Il me menaçait par téléphone de débarquer chez moi à chaque instant. Et j'avais peur de le croiser à chaque coin de rue. Je n'avais pas juste peur. J'étais pétrifiée. Bouffée d'angoisse. Mais en même temps, comme quand on survit à quelques chose de violent après avoir serré les poings jusqu'à avoir l'emprunte des oncles incrustée dans la paume, les nerfs lâchent. J'avais envie de détendre tous mes muscles. De sauter sur le lit et de tout envoyer baladé avec le sourire. J'y avais survécu.

Et dans le rayon alcool de cette supérette de quartier, à côté de mon meilleur ami, je sautille en souriant. On choisit les différentes bouteilles qui vont nous permettre de nous mettre la tête à l'envers le soir même. Je veux fêter ma nouvelle liberté, avec lui, l'ancien ami de lycée devenu confident du quotidien. Et lui, je ne sais pas trop ce qu'il veux fêter. Peut-être juste le fait qu'on se retrouve après une longue période d'éloignement géographique. On rentre dans son appartement de la cité universitaire de la Timone, les bras chargés. Et quand on se retrouve tous les deux assis sur son lit, je me rends compte, qu'en fait c'est la première fois qu'on va passer la soirée rien que tous les deux. On a toujours été très proches mais en trio. Avec un autre ami qui je connais depuis le collège. Pour tout dire, un ami dont j'étais amoureuse au collège (comment ça, c'est compliqué?). Les sorties au ciné, les parties de billard, les soirées à squatter les bancs publics ou les bureaux à côté du radiateur, au fond de la classe, ce n'était pas juste tous les deux. C'était à trois. Du coup, il ne pouvais y avoir aucune ambiguïté, à trois il n'y a pas de couple. Que des amis.

Et ce soir-là, on est comme perdus. Un tabouret bancal. On a dû mal à commencer nos phrases et je suis gênée d'être assise sur son lit, tout à côté de lui. Alors, comme à chaque fois que je suis gênée, j'en fais des tonnes. Je me lève, touche à toi, me penche par la fenêtre, commence à ouvrir toutes les bouteilles et à faire des mélanges improbables. Puis j'allume la télévision. Le journal de 20h. Et l'annonce du décès d'Alain Bashung. Pas vraiment une surprise après avoir vu son état de santé, sa difficulté à se déplacer lors des Victoires de la Musique. Mais je suis triste. Je me laisse tomber sur le canapé et j'ai envie de chialer. Il se fout de ma gueule, gentiment. Mais non, je n'ai pas envie. Je suis en colère. Pas contre lui mais contre le connard. J'aurais dû assister à un concert de Bashung, il y a un an de ça. J'avais le billet déjà acheté et le logement trouvé. Mais je n'y suis pas allée parce que c'était une menace pour le connard. J'aimais quelqu'un d'autre que lui. Un chanteur cancéreux de plus de 60 berges que je n'avais rencontré. Mais c'était quand même une menace. Si j'y allais, je le trompais. Si j'y allais, je prendrais une raclée.

Je n'ai pas « osé Joséphine » (mon deuxième prénom). «Je t'ai manqué», Bashung, à être pendant «tant de nuit», une «Vénus» accroché «sur un trapèze». J'ai été une «madame [qui] rêve» qu'elle «voyage en solitaire» mais qui reste figée «comme un légo».

Je lui raconte cette histoire, à mon meilleur ami. Il ne dit rien. Ne comprends pas. Et n'est ni violent. Ni misogyne. Ni obsédé par sa propre personne. Alors il ne comprends qu'on puisse l'être. Je m'en veut presque de lui avoir expliqué que ça pouvait exister, comme si j'avais balancé à un gamin que le père Noël, c'est des conneries. La vérité en pleine gueule. Des trucs moches arrivent. Et des fois, ça arrive à des gens qu'on aime. On boit tout les deux. Je reçoit un énième sms du connard. Il prend mon téléphone et lui répond quelque chose. Je ne sais pas quoi mais ça le fait rire. Puis il me regarde sérieusement «tu sais que c'est pas bien, hein?». J' hoche la tête, la bouche cachée derrière mon verre que je m'empresse de vider. «Faut jamais laisser ça arriver encore, d'accord?». Re-hochage de tête. Je veux boire encore pour ne pas avoir à parler. Merde mon verre est vide. Je me lève. Il me rattrape par le bras «Je plaisante pas, tu sais. Faut pas sortir avec un mec juste parce que tu crois que c'est le seul à pouvoir te trouver bien.» J'arrive à me dégager, et prends une bouteille. J'ai les mains qui tremblent, j'en fous partout sauf dans le verre. «Parce que c'est pas le cas. C'est vraiment pas le cas».

Je me rassoie sur le lit, le visage tourné vers la télévision mais je ne vois rien de la rétrospective. Il se lève pour éteindre l'écran et, par je ne sais quel miracle, arrive à parler d'autre chose, à me faire rire, à me changer les idées. Je fais la DJ avec mes mp3 pendant qu' il me raconte ce que j'ai raté ces derniers mois. On continue de boire jusqu'à ce qu'il n'y ai plus rien. Je souris. Un miracle qui s'appelle l'amitié, je crois.

Il se fait tard. On met un film, il me prête un caleçon et un teeshirt et on se couche. Je reste bien de mon côté, je fais bien attention à ne pas le frôler.

Il se fait tard. On arrête le film. Il éteint la lumière. Je me tourne sur le côté, vers lui. Lui aussi, est tourné vers moi. Je sens sa respiration. Il est proche. Il fait noir mais je sens qu'il est juste là, immobile, surement les yeux grands ouverts comme moi. J'entends mon coeur battre et il doit surement l'entendre aussi parce qu'il pourrait défoncer les murs. Je me rapproche d'un centimètre. Je me mords les lèvres. Je l'entends se rapprocher aussi. Son souffle tellement proche. Le bout de son nez qui frôle ma joue. Il se passe une éternité, ou peut-être juste les 3 minutes d'une chanson, avant que je n'embrasse mon meilleur ami. Et que l'on fasse l'amour.


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14 commentaires

  1. LE PERE NOEL N'EXISTE PAS ????????????

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  2. Je ne comprend pas qu'un mec puisse être violent avec une femme (même si des fois elles pourraient mériter une fessée ;)), il faut vraiment être très petit pour en arriver là.

    Comment ça le père noël n'existe pas ?
    Qui c'est qui met les cadeaux sous le sapin, alors ?

    J'ai assez souvent connus ce genre de situation (je parle de soirée entre amis qui dérive) et j'en ai toujours gardé de bon souvenir :)

    Et sinon en aillant autant bu, tu te rappel aussi de la soirée ????

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    1. @Trenty @Marion nous Chut!! Parlez moins fort, on risque de vous entendre!

      Pour que ça se passe bien tout dépend du réveil et des attentes de chacun...

      Et sinon oui, je tiens particulièrement bien l'alcool (enfin plus maintenant et ça me manque!)

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    2. Donc c'est bien une question d'age pour tenir l'alcool (parce que moi aussi je le tient moins bien, du moins au réveil :))

      Quoi que c'est peut-être parce qu'on boit moins souvent.
      Ouai, ça doit être ça :)

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  3. Putain, tes textes me passionnent. Moi aussi j'étais presque chialé quand j'ai su pour Bashung. Je me retrouve énormément dans ce post. Et en plus, j'habite à la Timone donc j'imagine clairement la scène.

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  4. Un récit prenant, une fin en tout point identique à ce que j'ai pu vivre il y a quelques années... j'ai adoré ! Merci pour cela !

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