Un garçon gentil

Le tout premier garçon ( à 21 ans, je crois qu'on appelle ce type de spécimen, un homme) avec qui je suis sortie était un gentil garçon...

Le tout premier garçon ( à 21 ans, je crois qu'on appelle ce type de spécimen, un homme) avec qui je suis sortie était un gentil garçon. Un vrai de vrai. Adorable, intelligent, attentif, un peu maladroit, vierge mais pas insistant pour passer à l'acte. Et je l'ai largué par sms.


Oui, je sais c'est lamentable. Carrément lâche et dégueulasse, surtout après sept mois d'une relation parfaite. Jetez-moi des pierres, des petits cailloux pointus dans les yeux, je le mérite.

Je reste persuadée que le Karma m'a bien eu sur ce coup.
Prends-toi ça dans ta gueule.
Et comme l’Égypte, j'ai dû essuyer mes douze plaies, en pénitence: l'Infidèle, le Marié, le Menteur, le Violent, le J'en-ai-rien-à-foutre-de-toi, le En-fait-je-suis-gay, le On-se-connait-que-depuis-deux-semaines-mais-épouses-moi, le Je-te-drague-mais-c'est-juste-pour-passer-le-temps, le Je-veux-pas-m'engager, le C'était-sympa-mais-je-voulais-juste-te-baisser, le Après-réflexion-je-ne-t'aime-pas-vraiment, le Désolé-mais-je-pars-faire-le-tour-du-monde-dans-une-semaine et pour finir le Et-si-je-te-regardais-te-faire-prendre-en-levrette-par-mon-meilleur-pote-ça-serait-marrant ( et mon poing dans ta gueule, ça te ferait rire aussi?).
J'ai compté et re-compté (parce que je suis pas douée, je compte toujours deux fois) et il y en a bien douze. Coïncidence? Je ne crois pas.

Foutu Karma.

J'ai commencé ma vie amoureuse en brisant cruellement le cœur d'un gentil innocent. Je ne pouvais pas m'en tirer aussi facilement, il fallait bien que, quelque part, quelqu'un puisse me pointer du doigt en ricanant.

haha

Évidemment dans la réalité, c'est un peu plus compliqué que ça. Même M. Karma devrait être capable de le reconnaître.

En fait, c'est le meilleur ami de mon frère, qui a 3 ans de plus que moi. Enfin, ex-meilleur ami à partir du moment où on a officialisé la chose. Autant le dire tout de suite, en plus d'avoir écrasé sans pitié son petit cœur, j'ai aussi ruiné une amitié de plus de 10 ans, ce qui fait qu'il n'a même pas pu pleurer sur l'épaule de son pote. Oui, je suis un monstre, j'ai totalement foiré le début sa vie et s'il est un peu censé, aujourd'hui encore, ce type me déteste et c'est bien normal (culpabilité inside).
Cette histoire se déroule il y a bien longtemps, à l'époque où Msn s'appelait AIM et où il n'y avait qu'un seul ordinateur par foyer ( je sais, c'est dingue). Mon frère oubliait souvent de se déconnecter de son compte de messagerie, quand il quittait l'ordinateur. Et j'adorais m'en servir juste après lui. Ses amis lui parlaient, je répondais qu'il n'était pas là et bien souvent, la discussion continuait. C'était excitant parce que 1) des mecs, dans mon entourage, il n'y en avait pas ( oui je suis au lycée et je n'ai aucune vie sociale) et 2) ils étaient tous plus vieux de 3 ans et je trouvais ça cool qu'ils me taquinent. J'étais la petite sœur marrante qu'on dragouille entre deux blagues.
Puis un jour, C., le fameux meilleur ami super mignon, qui me fait rougir à chaque fois qu'il vient à la maison voir mon frère, me demande mon pseudo de messagerie. Parce qu'il «a en marre de devoir faire semblant de vouloir parler à [m]on frère en espérant tomber sur [m]oi».
Joie, rougissement devant l'écran, applaudissement mental, crise d'épilepsie du muscle cardiaque.

Autant dans la vie, je suis d'un mutisme assez flippant, autant via internet, je me transforme en pompom girl «drôle et piquante» ( et c'est lui que le dit). C'est le début de l'été et je suis en train de détester profondément mon frère parce qu'il va passer toutes ses vacances en Angleterre, tout seul. Alors que c'est Mon rêve à moi. Il n'a pas le droit. C'est pas juste. De toutes façons, lui, il y connaît rien alors que moi j'en profiterais vraiment. Personne ne me comprend. Enfoiré. Je te hais. ( Oui, j'ai boudé jusqu'à un âge très avancé).

Mon frère prend l'avion un matin. L'après-midi même, C. sonne à la porte. Ma mère l'accueille d'un «Il vient de partir». Il sait, c'est pour moi qu'il est là! (Jubilation)
On passe l'après-midi à la plage. Je ne suis plus une Pompom girl. D'ailleurs, c'est à peine si je suis là. Je suis pétrifiée, je ne décroche pas un mot et je deviens écarlate dès qu'il me regarde. Soit, plutôt très souvent. Sur le trajet du retour, je fais semblant d'être très intéressée par ce que raconte le gars de la radio pour me donner un air détachée. Le seul truc que j'entends c'est un bourdonnement dans mes oreilles et le sang qui claque dans mes temps. Pour un premier rencard réussi, on repassera. Je suis même soulagée de sortir de sa voiture et de rentrer, enfin, chez moi.
Un peu plus tard dans la soirée, je lui envoie un très long mail pour m'excuser, je lui avoue que je suis probablement folle, atteinte d'une forme pathologique de timidité. Ca le fait rire. Et il m'invite au cinéma le lendemain.

Il tient le coup, il s'accroche, tous les jours il propose une nouvelle sortie. Et, au fil des jours, ça ressemble de moins en moins à une torture pour moi. Ma langue se délit, on s'amuse. A la moitié de l'été, il m'embrasse pour la première fois. On continue d'aller au cinéma mais on ne regarde plus une seule minute des films.
Un soir, en me raccompagnant jusqu'à ma porte d'entrée, il s'attarde un instant, la tête baissée, avant de se lancer. «Je t'aime». La première fois de toute son existence qu'il le dit, qu'il le pense. Il va y en avoir des dizaines d'autre, après moi. Mais là, c'est pour moi qu'il a la voix tremblante. Je ne dis rien. Je m'accroche à son cou, l'embrasse longuement et le laisse partir. Appuyée contre la porte fermée, je n'arrive plus à respirer. Je marche en long, en large, en travers dans l'entrée. Il m'a dit «je t'aime». Il m'aime et c'est la première fois qu'on m'aime. Je bouts à l'intérieur et je sais que je n'arriverais plus jamais à dormir si je ne lui téléphone pas. Il répond à la première sonnerie. Il est encore sur la route, il me fait attendre une seconde, le temps de se garer sur la bas côté. Là je lui dis, avant de raccrocher nerveusement: «Moi aussi.»

Mon frère rentre quelques semaines plus tard et évidemment, il n'est pas à proprement parlé enchanté par l'idée de son meilleur ami fricotant avec sa petite sœur. Naïvement, je nous avais imaginé sortant tous les trois ensemble, entre amis. Parce qu'entre mon frère et moi, c'est pas vraiment la joie. Je suis une looseuse bourrée de tics qu'il s'amuse à imiter à la moindre occasion. Je pensais que c'était l'opportunité pour qu'il arrête de me voir comme une gamine. Que si son meilleur pote me trouvait intéressante, lui aussi pouvait peut-être me trouver un quelconque intérêt. Mais il se sent juste trahi et décide de ne plus parler à C.. Bientôt c'est à moi qu'il n'adresse plus la parole.

La rentrée arrive, j'attaque la terminale.Et entre ça et l'ambiance folichonne à la maison,je me raccroche encore plus à C.. Lui aussi reprends les cours, mais tous les week-ends, il est là. Une parenthèse enchantée de trois jours. On continue d'aller au cinéma sans voir les films, on va chez lui s'embrasser pendant des heures sur le canapé, le souffle court et le visage rouge. Les mains s'égarent de plus en plus loin, de plus en plus longtemps, sous les couches de vêtements. Il me caresse en me regardant droit dans les yeux. Quand j'ai mon premier orgasme (premier à deux, parce que toute seule, c'est une autre histoire), je le serre dans mes bras jusqu'à me faire mal et lui mordille l'épaule. Il me demande, inquiet, si c'était bien. Il me faut deux bonnes minutes pour retrouver mon souffle et pouvoir dire que, oui, c'était parfait. On passe l'hiver à se promener en voiture, à la recherche d'endroit reculé surplombant la campagne, on profite de la vue et on s'embrasse jusqu'à que ce l'envie de plus devienne insoutenable. Et il me reconduit chez moi, de la buée sur les vitres. On se quitte toujours le ventre en feu,la bouche à vif et les doigts emmêlés.
Il me parle de l'année prochaine, que je pourrais le rejoindre dans la même fac que lui, on pourrait même prendre un appartement ensemble. Je souris. Je ne lui dis pas que je ne vais presque plus en cours, qu'à part lui ma vie est un trou noir. Mon frère ne m'a pas adressé la parole depuis des mois, je n'existe plus pendant les repas en famille. J'ai commencé mes fameuses «balades» où au lieu d'aller en cours pour la journée, je prends le train et erre sans but dans les villes où il m'emmène. Dans mon sac, il y a même une paire de ciseau bien aiguisé.

Un soir, il m’envoie un sms, comme tous les soirs. Sauf que ce soir-là, je n'ai pas la force de mentir quand il demande comment ça va. Pas terrible, je dis. Il s'inquiète, veut savoir ce qu'il se passe, si c'est les cours, si c'est lui, s'il a fait quelque chose. J'en suis à ce stade où je n'arrive plus à rien savoir. Je n'ai aucun mot, aucune réponse. Ce n'est pas de la mauvaise fois pour le torturer à distance mais à toutes ses questions, je réponds que je ne sais pas. On mettrait devant moi, une assiette avec un gâteau au chocolat et une assiette avec une tarte à l'abricot, je resterais bloquée, coincée, incapable de bouger, incapable de faire un choix. Je suis anesthésiée, euthanasiée. Alors devant une question aussi compliquée que «pourquoi je ne vais pas bien», je m'écroule. Ca le rend fou, je le sens, il s'inquiète. Il finit par demander si je veux qu'on fasse une pause. «Je ne sais pas».

Bien sûr, le week-end d'après je l'ai revu, mais je n'ai rien fait pour le rassurer, et mon «je ne sais pas» lui avait déjà brisé le cœur. J'ai pleuré, il a pleuré. Et on s'est séparé juste avant la Saint-Valentin. Sans qu'il comprenne pourquoi. Sans que je sois capable de lui expliquer que ce n'était pas lui, mais moi (et que même s'il allait entendre cette phrase pendant des années, je le jure, c'était vrai et il n'y avait rien qu'il aurait pu faire.)

Les choses n'ont pas été mieux. Au contraire. L'angoisse, le vide, l'incapacité de répondre à une question, même simplissime, ont duré pendant des mois. Puis, il y a eu beaucoup d'autres garçons, d'autres hommes. Des beaucoup moins gentils.

Mais finalement, je crois que ce n'était pas une histoire de Karma. Je crois qu'il m'a juste fallu des années pour savoir qui j'étais, ce que je voulais, ce que j'aimais. Si je préférais le gâteau au chocolat ou la tarte à l'abricot.
Et il m'a fallu des années pour arrêter de choisir les mauvais garçons.

Vous pourriez aussi aimer

0 commentaires