dépression
gentil garçon
premier amour
séparation
Un garçon gentil
12:39Le tout premier garçon ( à 21 ans, je crois qu'on appelle ce type de spécimen, un homme) avec qui je suis sortie était un gentil garçon. Un vrai de vrai. Adorable, intelligent, attentif, un peu maladroit, vierge mais pas insistant pour passer à l'acte. Et je l'ai largué par sms.
Oui, je sais c'est lamentable.
Carrément lâche et dégueulasse, surtout après sept mois d'une relation
parfaite. Jetez-moi des pierres, des petits cailloux pointus dans les
yeux, je le mérite.
Je reste persuadée que le Karma m'a bien eu sur ce coup.
Prends-toi ça dans ta gueule.
Et comme l’Égypte, j'ai dû essuyer mes douze plaies,
en pénitence: l'Infidèle, le Marié, le Menteur, le Violent, le
J'en-ai-rien-à-foutre-de-toi, le En-fait-je-suis-gay, le
On-se-connait-que-depuis-deux-semaines-mais-épouses-moi, le
Je-te-drague-mais-c'est-juste-pour-passer-le-temps, le
Je-veux-pas-m'engager, le
C'était-sympa-mais-je-voulais-juste-te-baisser, le
Après-réflexion-je-ne-t'aime-pas-vraiment, le
Désolé-mais-je-pars-faire-le-tour-du-monde-dans-une-semaine et pour
finir le
Et-si-je-te-regardais-te-faire-prendre-en-levrette-par-mon-meilleur-pote-ça-serait-marrant
( et mon poing dans ta gueule, ça te ferait rire aussi?).
J'ai compté et re-compté
(parce que je suis pas douée, je compte toujours deux fois) et il y en a
bien douze. Coïncidence? Je ne crois pas.
Foutu Karma.
J'ai commencé ma vie amoureuse en brisant cruellement
le cœur d'un gentil innocent. Je ne pouvais pas m'en tirer aussi
facilement, il fallait bien que, quelque part, quelqu'un puisse me
pointer du doigt en ricanant.
Évidemment dans la réalité, c'est un peu plus compliqué que ça. Même M. Karma devrait être capable de le reconnaître.
En fait, c'est le meilleur ami de mon frère,
qui a 3 ans de plus que moi. Enfin, ex-meilleur ami à partir du moment
où on a officialisé la chose. Autant le dire tout de suite, en plus
d'avoir écrasé sans pitié son petit cœur, j'ai aussi ruiné une amitié de
plus de 10 ans, ce qui fait qu'il n'a même pas pu pleurer sur l'épaule
de son pote. Oui, je suis un monstre, j'ai totalement foiré le début sa
vie et s'il est un peu censé, aujourd'hui encore, ce type me déteste et
c'est bien normal (culpabilité inside).
Cette histoire se déroule
il y a bien longtemps, à l'époque où Msn s'appelait AIM et où il n'y
avait qu'un seul ordinateur par foyer ( je sais, c'est dingue). Mon
frère oubliait souvent de se déconnecter de son compte de messagerie,
quand il quittait l'ordinateur. Et j'adorais m'en servir juste après
lui. Ses amis lui parlaient, je répondais qu'il n'était pas là et bien
souvent, la discussion continuait. C'était excitant parce que 1) des
mecs, dans mon entourage, il n'y en avait pas ( oui je suis au lycée et
je n'ai aucune vie sociale) et 2) ils étaient tous plus vieux de 3 ans
et je trouvais ça cool qu'ils me taquinent. J'étais la petite sœur
marrante qu'on dragouille entre deux blagues.
Puis un jour, C., le
fameux meilleur ami super mignon, qui me fait rougir à chaque fois qu'il
vient à la maison voir mon frère, me demande mon pseudo de messagerie.
Parce qu'il «a en marre de devoir faire semblant de vouloir parler à
[m]on frère en espérant tomber sur [m]oi».
Joie, rougissement devant l'écran, applaudissement mental, crise d'épilepsie du muscle cardiaque.
Autant dans la vie, je suis d'un mutisme assez flippant, autant via internet, je me transforme en pompom girl
«drôle et piquante» ( et c'est lui que le dit). C'est le début de l'été
et je suis en train de détester profondément mon frère parce qu'il va
passer toutes ses vacances en Angleterre, tout seul. Alors que c'est Mon
rêve à moi. Il n'a pas le droit. C'est pas juste. De toutes façons,
lui, il y connaît rien alors que moi j'en profiterais vraiment. Personne
ne me comprend. Enfoiré. Je te hais. ( Oui, j'ai boudé jusqu'à un âge
très avancé).
Mon frère prend l'avion
un matin. L'après-midi même, C. sonne à la porte. Ma mère l'accueille
d'un «Il vient de partir». Il sait, c'est pour moi qu'il est là! (Jubilation)
On passe l'après-midi à la plage. Je ne suis plus une Pompom girl. D'ailleurs, c'est à peine si je suis là. Je suis pétrifiée,
je ne décroche pas un mot et je deviens écarlate dès qu'il me regarde.
Soit, plutôt très souvent. Sur le trajet du retour, je fais semblant
d'être très intéressée par ce que raconte le gars de la radio pour me
donner un air détachée. Le seul truc que j'entends
c'est un bourdonnement dans mes oreilles et le sang qui claque dans mes
temps. Pour un premier rencard réussi, on repassera. Je suis même
soulagée de sortir de sa voiture et de rentrer, enfin, chez moi.
Un peu plus tard dans la soirée, je lui envoie un très long mail pour m'excuser, je lui avoue que je suis probablement folle, atteinte d'une forme pathologique de timidité. Ca le fait rire. Et il m'invite au cinéma le lendemain.
Il tient le coup, il s'accroche, tous les jours il propose une nouvelle sortie.
Et, au fil des jours, ça ressemble de moins en moins à une torture pour
moi. Ma langue se délit, on s'amuse. A la moitié de l'été, il m'embrasse pour la première fois. On continue d'aller au cinéma mais on ne regarde plus une seule minute des films.
Un soir, en me raccompagnant jusqu'à ma porte d'entrée, il s'attarde un instant, la tête baissée, avant de se lancer. «Je t'aime».
La première fois de toute son existence qu'il le dit, qu'il le pense.
Il va y en avoir des dizaines d'autre, après moi. Mais là, c'est pour
moi qu'il a la voix tremblante. Je ne dis rien. Je m'accroche à son cou,
l'embrasse longuement et le laisse partir. Appuyée contre la porte
fermée, je n'arrive plus à respirer. Je marche en long, en large, en
travers dans l'entrée. Il m'a dit «je t'aime». Il m'aime et c'est la
première fois qu'on m'aime. Je bouts à l'intérieur et je sais que je
n'arriverais plus jamais à dormir si je ne lui téléphone pas. Il répond à
la première sonnerie. Il est encore sur la route, il me fait attendre
une seconde, le temps de se garer sur la bas côté. Là je lui dis, avant
de raccrocher nerveusement: «Moi aussi.»
Mon frère rentre quelques semaines plus tard et évidemment, il n'est pas à proprement parlé enchanté
par l'idée de son meilleur ami fricotant avec sa petite sœur.
Naïvement, je nous avais imaginé sortant tous les trois ensemble, entre
amis. Parce qu'entre mon frère et moi, c'est pas vraiment la joie. Je
suis une looseuse bourrée de tics qu'il s'amuse à imiter à la moindre
occasion. Je pensais que c'était l'opportunité pour qu'il arrête de me
voir comme une gamine. Que si son meilleur pote me
trouvait intéressante, lui aussi pouvait peut-être me trouver un
quelconque intérêt. Mais il se sent juste trahi et décide de ne plus
parler à C.. Bientôt c'est à moi qu'il n'adresse plus la parole.
La rentrée
arrive, j'attaque la terminale.Et entre ça et l'ambiance folichonne à
la maison,je me raccroche encore plus à C.. Lui aussi reprends les
cours, mais tous les week-ends, il est là. Une parenthèse enchantée
de trois jours. On continue d'aller au cinéma sans voir les films, on
va chez lui s'embrasser pendant des heures sur le canapé, le souffle
court et le visage rouge. Les mains s'égarent de plus en plus loin, de
plus en plus longtemps, sous les couches de vêtements. Il me caresse en
me regardant droit dans les yeux. Quand j'ai mon premier orgasme
(premier à deux, parce que toute seule, c'est une autre histoire), je le
serre dans mes bras jusqu'à me faire mal et lui mordille l'épaule. Il
me demande, inquiet, si c'était bien. Il me faut deux bonnes minutes
pour retrouver mon souffle et pouvoir dire que, oui, c'était parfait. On
passe l'hiver à se promener en voiture, à la recherche
d'endroit reculé surplombant la campagne, on profite de la vue et on
s'embrasse jusqu'à que ce l'envie de plus devienne insoutenable. Et il
me reconduit chez moi, de la buée sur les vitres. On se quitte toujours
le ventre en feu,la bouche à vif et les doigts emmêlés.
Il me parle de l'année prochaine, que je pourrais le rejoindre dans la même fac que lui, on pourrait même prendre un appartement ensemble. Je souris. Je ne lui dis pas que je ne vais presque plus en cours, qu'à part lui ma vie est un trou noir.
Mon frère ne m'a pas adressé la parole depuis des mois, je n'existe
plus pendant les repas en famille. J'ai commencé mes fameuses «balades»
où au lieu d'aller en cours pour la journée, je prends le train et erre
sans but dans les villes où il m'emmène. Dans mon sac, il y a même une
paire de ciseau bien aiguisé.
Un soir,
il m’envoie un sms, comme tous les soirs. Sauf que ce soir-là, je n'ai
pas la force de mentir quand il demande comment ça va. Pas terrible, je
dis. Il s'inquiète, veut savoir ce qu'il se passe, si c'est les cours,
si c'est lui, s'il a fait quelque chose. J'en suis à ce stade où je
n'arrive plus à rien savoir. Je n'ai aucun mot, aucune réponse.
Ce n'est pas de la mauvaise fois pour le torturer à distance mais à
toutes ses questions, je réponds que je ne sais pas. On mettrait devant
moi, une assiette avec un gâteau au chocolat et une assiette avec une
tarte à l'abricot, je resterais bloquée, coincée, incapable de bouger, incapable de faire un choix. Je suis anesthésiée,
euthanasiée. Alors devant une question aussi compliquée que «pourquoi
je ne vais pas bien», je m'écroule. Ca le rend fou, je le sens, il
s'inquiète. Il finit par demander si je veux qu'on fasse une pause. «Je ne sais pas».
Bien sûr, le week-end
d'après je l'ai revu, mais je n'ai rien fait pour le rassurer, et mon
«je ne sais pas» lui avait déjà brisé le cœur. J'ai pleuré, il a pleuré.
Et on s'est séparé juste avant la Saint-Valentin. Sans
qu'il comprenne pourquoi. Sans que je sois capable de lui expliquer que
ce n'était pas lui, mais moi (et que même s'il allait entendre cette
phrase pendant des années, je le jure, c'était vrai et il n'y avait rien
qu'il aurait pu faire.)
Les choses n'ont pas été
mieux. Au contraire. L'angoisse, le vide, l'incapacité de répondre à une
question, même simplissime, ont duré pendant des mois. Puis, il y a eu
beaucoup d'autres garçons, d'autres hommes. Des beaucoup moins gentils.
Mais finalement, je crois
que ce n'était pas une histoire de Karma. Je crois qu'il m'a juste
fallu des années pour savoir qui j'étais, ce que je voulais, ce que
j'aimais. Si je préférais le gâteau au chocolat ou la tarte à l'abricot.
Et il m'a fallu des années pour arrêter de choisir les mauvais garçons.
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