Folle et inconsciente
18:28Il m'arrive de passer des nuits blanches, la nuque moite et le dos parcouru de frissons, rien qu'en repensant à ce que j'ai fai...
16/06/2014 - 18:28
Il m'arrive de passer des nuits blanches, la nuque moite et le dos parcouru de frissons, rien qu'en repensant à ce que j'ai fait il y a quelques années. Pas une action en particulier, plutôt un ensemble de situations. Des faits divers. Comme on pourrait en lire, tristes et tragiques, résumés en quelques mots, dans le coin d'un journal. J'ai peur de la personne que j'étais, de la personne que je peux redevenir à n'importe quel moment. Cette fille qui monte dans des voitures avec des inconnus, qui dort entre deux portes d'un immeuble, qui passe la nuit à déambuler dans une ville où personne ne l'attend, qui embrasse une fois la première bière évaporée, qui se saoule jusqu'à danser sur la table et qui rentre seule, pieds nus, au petit matin, qui s'enfonce dans des trains sans connaître les destinations.
Je me dis qu'il y un million de choses qui auraient pu mal tourner et que c'est presque un miracle que je n'aie pas fait de mauvaise rencontre, qu'on ait pas retrouvé mon corps dans un fossé, sur le bord du périphérique. Je me mords l'intérieur des joues et lui filerais bien une paire de claques à cette fille, histoire de la faire redescendre sur terre, qu'elle ouvre les yeux, qu'elle réalise un peu à quel point elle fout sa vie en l'air. Je pense à mes parents, à l'inquiétude qui a marqué leur front et qui a gardé leurs yeux ouverts au milieu de la nuit. Au coup de téléphone qu'ils auraient pu recevoir. Et j'ai la nausée.
Je ne sais pas exactement à quel moment j'ai changé et je ne sais pas pourquoi ça s'est passé. Je ne sais pas à quel moment c'est devenu moins drôle. A quel moment un regard un peu trop appuyé ou un homme qui danse un peu trop près m'ont rendue nerveuse. Je ne sais pas quand les mots aventure, romantique, spontanéité se sont transformés en glauque, triste et pathétique. Je crois juste qu'à un moment donné, il n'y a eu plus rien à oublier, à noyer, à enterrer sous de folles histoires. J'ai filé un grand coup de ciseau dans le fil sur lequel je marchais, j'en ai fais une pelote et je l'ai jetée par dessus mon épaule, sans me retourner.
Mais parfois aussi, ce qui me tient éveillée, c'est une autre peur. Celle que tout ça soit fini, derrière moi pour de bon. Une page tournée. Froissé le journal, déchiré en petits morceaux. J'ai peur d'être vieille. Vieille et conne et pleine de barrières. J'ai peur de me fondre dans mon canapé à force d'y passer mes soirées. J'ai peur de ne plus ressentir ce frisson, cette sensation de liberté quand absolument rien ne nous retient, ni la crainte, ni le regard des gens que l'on connait, ni même la honte. Elle n'existe pas la honte quand on est folle et inconsciente.
Il n'y a que la caresse de la nuit sur la peau.