J'ai oublié la date
08:27J'ai oublié la date. La date la plus importante. Celle qui était entourée dans mon agenda. La date qui allait tout changer. Un rende...
10/09/2014 - 08:27
J'ai oublié la date.
La date la plus importante. Celle qui était entourée dans mon agenda. La date qui allait tout changer. Un rendez-vous auquel j'ai pensé tout l'été. En filigrane, c'était là: "encore une semaine d'écoulée", "c'est bientôt, ça approche". Une sentence qui devait tomber après toute une série de longs tests, IRM et entretiens psychologiques.
Mais j'avais des choses à faire.
J'y ai pensé tout l'été mais là, d'un coup, un cadeau d'anniversaire à trouver, un premier cours d'aquagym, une dispute avec l'homme que j'aime, la découverte d'une nouvelle série... J'avais des choses à faire. J'avais la vie et j'étais à 700km. Et j'ai oublié qu'elle devait tomber, cette sentence de mort.
J'y ai pensé tout l'été mais là, d'un coup, un cadeau d'anniversaire à trouver, un premier cours d'aquagym, une dispute avec l'homme que j'aime, la découverte d'une nouvelle série... J'avais des choses à faire. J'avais la vie et j'étais à 700km. Et j'ai oublié qu'elle devait tomber, cette sentence de mort.
Je l'ai oubliée. Et le jour suivant aussi. Et encore celui d'après. Et comme ça, j'ai grappillé une semaine d'ignorance. Une semaine de naïveté, de légèreté. Une semaine à ne penser à rien de sérieux.
Puis hier soir, j'ai appelé mon frère. Juste comme ça, pour avoir des nouvelles. Il m'a demandé si je savais. Je ne savais pas, j'avais oublié. Il y a eu une pause et je me suis mordue les joues pour ne pas m'écrouler. J'ai raccroché, je me suis assisse devant un film et j'ai fait comme si je pouvais oublier, à nouveau.
Ce matin, je savais que je n'avais pas le choix. Il fallait que je téléphone à ma mère.
Ce matin, je savais que je n'avais pas le choix. Il fallait que je téléphone à ma mère.
Je savais aussi que ça allait être horrible. Je savais que j'allais l'entendre pleurer et essayer de reprendre sa respiration. Je savais que chaque mot serait soufflé et se perdrait dans un lourd silence. Je savais que même si, au fond, on s'y attendait, à partir de maintenant, rien ne serait plus pareil. Qu'un compte à rebours allait se déclencher et que la fin serait forcément très moche.
Je savais. C'est pour ça que je n'ai pas appelé à la première heure.
Je me suis préparée. J'ai attendu que mon rythme cardiaque ralentisse. J'ai attendu que mes yeux soient secs et ma voix claire. J'ai recherché tout ce que je pouvais trouver sur l'évolution de cette saloperie de maladie. Je maitrisais tout. J'ai chargé mon téléphone au maximum. Je suis allée aux toilettes. Je me suis brossée les dents. Deux fois. Je me suis assise sur un tabouret, dans la cuisine, les pieds bien à plat sur le sol, le dos droit. Mes mains ne tremblaient même pas quand j'ai composé le numéro. Tout était parfait.
Je me suis préparée. J'ai attendu que mon rythme cardiaque ralentisse. J'ai attendu que mes yeux soient secs et ma voix claire. J'ai recherché tout ce que je pouvais trouver sur l'évolution de cette saloperie de maladie. Je maitrisais tout. J'ai chargé mon téléphone au maximum. Je suis allée aux toilettes. Je me suis brossée les dents. Deux fois. Je me suis assise sur un tabouret, dans la cuisine, les pieds bien à plat sur le sol, le dos droit. Mes mains ne tremblaient même pas quand j'ai composé le numéro. Tout était parfait.
"Bonjour, c'est moi, ça va?
- Non, ça ne va pas..."
Je n'ai pas été forte. Je n'ai pas été digne. Je n'ai réussi à prononcer aucun mots réconfortants. Pas même une de mes phrases toutes faites longuement répétées ou une bribe d'information médicale accumulée pendant mes heures de recherche. J'étais seule, perdue, à l'autre bout du monde. J'ai pleuré tout ce que mon coeur m'avait refusé.
J'ai juste été une petite fille qui apprend officiellement que son grand-père a la maladie d'Alzheimer.
J'ai juste été une petite fille qui apprend officiellement que son grand-père a la maladie d'Alzheimer.