Duel

Je ne sais pas quoi faire. Je tourne en rond. Je visite les mêmes pages en boucle sur internet. Facebook. Mes mails. Les nouvelle...

Je ne sais pas quoi faire.
Je tourne en rond.
Je visite les mêmes pages en boucle sur internet.
Facebook.
Mes mails.
Les nouvelles sur Libé. 
Les dernières bande-annonces sur Allociné. 
Mais j'ai la flemme de lire et je n'arrive pas à rester plus de  deux minutes les mains au repos face à un écran. Je survole juste les titres. Je clique, je passe à autre chose. Encore et encore. 

Je me lève. 
J'ouvre le frigo, je n'ai pas faim. 
Je ne sers un verre. Je n'ai pas soif non plus mais je ne veux pas y penser. Je reste debout face à ma bibliothèque. Rien qu'en lisant les titres, les histoires derrières se déroulent, rien ne m'inspire, je connais tout pas coeur. Je retourne m'asseoir sur le canapé. Je lance un film au hasard mais au bout de  cinq minutes, je retourne sur l'ordinateur. 
Facebook. 
Rien de nouveau. 
Libération. 
Rien de nouveau. 
Allociné. 
Rien de nouveau. 
Mon téléphone. 
Rien de nouveau. 
Aucun nouveau message. Je fais dérouler le répertoire machinalement. Des visages. Amis. Famille. Vague connaissance. Boulot. Je n'ai envie d'appeler personne. 
Une gorgée. Gin tonic. 
Plus gin que tonic, d'ailleurs. 
Je me relève. Rien à faire dans la salle de bain non plus, à part me dévisager dans le miroir au dessus du lavabo. Joues gonflées et yeux écarquillés. Je m'étire dans le couloir. Phalanges blanches et articulations bruyantes. 
Je reste sur le pas de la porte du salon. 
L'ordinateur est posé sur la table basse. 
Mon ennemie est en veille. Alors que moi, je bouillonne. 
J'ai les doigts engourdis, des idées qui fourmillent. Je le regarde, j'ai envie d'appuyer sur une touche, n'importe laquelle pour le réveiller et faire apparaitre la fameuse feuille blanche. Mais je reste dans le coin de la pièce, et si je ne trouvais pas les bons mots? Et si tout ça ne servais à rien? Et si, finalement je n'avais rien à dire? Et c'est quoi la différence entre moi et n'importe quelle autre personne avec un ordinateur? Pourquoi mes mots auraient plus de valeurs que ceux de n'importe qui d'autre? Je pense aux trains que j'ai ratés, aux opportunités auxquelles je tourne le dos, aujourd'hui encore. Tout ça pourquoi? Je pense à la folie, celle de ce monde auquel je ne comprends pas grand chose et celle qui ne touche que moi quand je crois que je suis quelqu'un au milieu de la foule. 



Je mets de la musique. 
Un peu plus fort que ce qu'il faudrait mais j'aime ça. Et ça m'empêche d'entendre le sang battre dans mes tempes. 
Je suis dans une arène, mais je ne sais pas si je suis le taureau ou le matador. Je ne sais pas qui va finir en sang et qui va finir en larme. Je ne sais pas qui est le chasseur et qui est la chassé. Tout ce passe dans les yeux. Le regard. Qui va flancher en premier. D'un mouvement de la souris, je chasse l'écran de vieille. Et je réveille le monstre, la barre qui clignote en haut de la page vide. J'ai l'air d'une bête folle, je lui tourne autour, je sais qu'il ne pourra y avoir rien d'autre tant que l'une de nous deux aura capitulé. Comme moi, elle s'évapore, elle est là, elle n'est pas là. Je suis là, je ne suis pas là, je suis là, je ne suis pas là. Régulière dans l'incontance. Je sais aussi que malgré tout, ça ne sera pas moi. Malgré tout, malgré ma faiblesse, malgré mon inconstance, malgré tout ce qui fait de moi une personne lache et sans avenir précis, sans amour propre et sans talent, malgré tout, je suis là, je ne lacherais pas. 
La tête rentrée dans les épaules, mes jambes qui se croisent à chaque pas de côté, je reste face à la menace, je ne lui tourne jamais le dos.Je suis là, quoiqu'il arrive. Sur la défensive, les yeux grands ouverts, hargneuse, même si je craints ce qu'ils pourraient montrer, il y a la doute, la peur, la remise en question qui elle, est permanente, mais il y a aussi la conviction que rien d'autre n'est possible, que le duel est inévitable. 
Moi et lui, l'écran vide. 
La barre clignotante du traitement de texte et mes doigts sur le clavier, luttant pour chaque lettres, chaque virgules, chaque respirations. Et la sensation d'un combat remporté à chaque fois, même si ça ne fait pas tout, loin de là. L'avoir sorti, c'est déjà une victoire, c'est déjà plus qu'un jour ordinaire. Plus qu'un jour sans alcool, sans angoisse, sans précipitation, sans excès de mégalomanie, je suis la reine du monde juste parce que je l'ai dit, juste parce que ça a été formulé, un mot après l'autre, même minable, même futile, même illisible, je me sens immortelle, invincible, pieds nus sur les ponts du monde, quand je plonge, je plonge pour de bon. Ca peut prendre un peu de temps, mais quand ça y est, ça y est. Terrifiant et excitant.
A l'attaque, j'appuie sur les touches, féroces, aussi déterminée que j'ai pu être pétrifiée.
A chaque fois, comme si c'était la première fois.

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6 commentaires

  1. Je ne sais pas vraiment quoi ajouté à ce texte qui dit tout, sauf peut-être que tu as du talent. Continues d'avoir mal, si ça te permet de faire un aussi beau plongeon que celui là.

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  2. très beau "duel". J'ai découvert le blog il y a très peu de temps..j'aime beaucoup vos textes..! merci !

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  3. une fois de plus, tes mots me parlent. tes maux aussi. Tes mots touchent, réveillent, parlent... et ils le font bien, très bien. Ce n'est pas donné à tout le monde d'avoir des doigts qui tapent de tels mots.

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  4. Tu sais nous transporter avec toi, et j'ai l'impression que tu lis ce qu'il se passe parfois dans ma tête...

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