Le deuil

La plupart du temps, on ne fait rien d'extraordinaire. On marche dans la rue, on s'assoit à la terrasse d'un café, on se racont...

La plupart du temps, on ne fait rien d'extraordinaire. On marche dans la rue, on s'assoit à la terrasse d'un café, on se raconte nos vies d'aujourd'hui et on se rappelle nos vies d'avant, nos habitudes d'adolescentes. On se remémore nos soirées, allongées sur le dos, sur la moquette du salon, pendant que les parents se sont absentés, à se projeter dans le futur, à se voir actrice, pour l'une, pilote d'avion pour l'autre et écrivain pour moi. A s'amuser des premiers garçons qui nous intéressent, à se jurer d' être demoiselle d'honneur à nos mariages. Elles ont des gosses maintenant, un homme bien dans leur vie et un métier intéressant. Et de vêtement d'adultes, de vraie coupe de cheveux, enfin! Et plus de tâtonnement capillaire hasardeux. Elles sont comme ça, mes meilleures amies, elles ont grandi. Et moi aussi j'ai grandi, j'ai changé, je n'ai plus 16 ans, je vais bien et je me suis calmée sur le look grunge. J'ai eu quelques garçons dans ma vie, et même des hommes, des vrais, je leur parle de tous en riant aux éclats. Même que je ne suis plus la seule à boire des cocktails aujourd'hui, elles qui n'avaient jamais bu une goutte d'alcool ou rater un couvre-feu.


Et je finis toujours pas me réveiller.
Le coeur déchiré, avec une sale envie de chialer. Parce que je n'ai plus vu mes meilleures amies depuis dix ans maintenant, et que je continue de les appeler mes meilleures amies. Parce que c'est triste et con. Que la nuit, bien souvent, je les retrouve en rêve pour leur dire tout ce qu'elles ne sauront jamais, comme si elles étaient les seules à qui j'ai vraiment envie de me raconter. 

Il n'y avait jamais un silence, même après avoir passé toute la journée ensemble au collège puis au lycée, on trouvait encore le moyen d'avoir des choses à se raconter sur Msn. Tout la soirée, toute la nuit connectées. Ca rendait fou nos parents et nous, ça nous faisait rire. Depuis dis ans, c'est le silence. Des classes différentes en terminale, puis après, il parait que c'est moi qui ai changé, plus très fréquentable. Et il a fallu trouvé des excuses à ma mère quand elle me demandait, tous les jours, à 13h25 pourquoi mes copines, mes meilleures amies de toujours ne venaient plus me chercher pour aller en cours. "On a pas les mêmes horaires aujourd'hui". "Elles commencent plus tard". Et moi, j'attendais, la boule au ventre, je guettais le bout de la rue en espérant les voir arriver, jusqu'à la dernière limite avant d'être en retard. "Elles sont restées manger à la cantine". "Elles avaient un exposé, elles sont parties plus tôt". Je retardais le moment de partir pour le lycée, seule, sans elles, et avec l'aveu qu'elles m'avaient bel et bien abandonnée.

Putain, dix années et je fais pas la fière, prête à chialer comme si c'était hier. Parce que je n'ai toujours pas compris ce qu'il s'était passé, connerie d'adolescence, mais surtout parce que nos fous rires me manquent. Surement plus que je ne veux bien le reconnaître parce que la nuit, je les retrouve souvent. Très souvent. Finalement, c'est peut-être mieux comme ça, peut-être qu'on s'est quitté avant de se trouver chiantes, parce que c'est vrai on était différentes, on aurait fini par se sourire, hypocrites, et se poignarder dans le dos. Ou peut-être que je dis ça pour me rassurer.
Je ne sais pas ce qu'elles sont devenues, où elles vivent, ce qu'elles font de leur vie, si elles sont amoureuses. Si elles sont heureuses. Je ne sais pas si elles sont encore amies. J'espère qu'elles sont restées proches, toutes les deux, parce qu'on a besoin d'amis dans la vie et que sans elles, je n'aura pas survécu à l'éducation nationale et qu'elles ont réussi l'exploit de transformer ça en six années de fous rires et de petits mots griffonnés dans des agendas. Alors, j'espère qu'elles sont toujours amies. Et peut-être que de temps en temps, elles repensent à moi. Et j'espère que notre trio leur manque au moins un peu.

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6 commentaires

  1. très joli texte, triste aussi... J'ai vécu ça avec une amie, et un jour elle m'a envoyé un CD Avec 1 chanson gravée dessus: "Pour ne pas s'oublier sans rien dire...", ça a suffit à renouer le dialogue, et cette amie m'est très préciseuse aujourd'hui. J'espère que vous aurez l'occasion de reprendre contact. (il manque un mot dans la dernière phrase je crois qui abime un peu la fin de ton si beau texte...)

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  2. j'ai vécu un truc similaire alors je te comprends complètement et ton article me parle beaucoup.
    pour ma part, j'ai essayé de "réparer" les choses à plusieurs reprises, sans succès et du coup, la dernière fois que j'ai tenté, c'était un peu la tentative de la dernière chance. Ça m'a permis de tourner la page, enfin, parce que j'ai vraiment compris qu'il fallait que j'arrête de me torturer l'esprit, de culpabiliser et d'essayer de réparer puisque la/les personne(s) en face n'en a/ont pas envie. C'est dur, mais quelque part, ça aide à faire le deuil. Courage!

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  3. Je ne sais pas si "mon histoire va t'aider" mais bon. J'étais fusionnelle avec ma première meilleure amie. On était vraiment très proche et c'était, sans en rajouter, MA soeur. On s'entendait super bien. Mais les trahisons, les mensonges ont fait que j'ai mis fait à notre amitié (je ne dis pas que je n'ai pas ma part de responsabilité).
    Malgré tout, elle me manquait et je n'ai jamais retrouvé cette complicité avec quelqu'un d'autre. Un jour, en boîte, je la recroise, on se parle (ça faisait au moins 3-4 ans qu'on ne s'était pas parlée). Elle resonne chez moi quelques jours après comme avant. On se parle et je m'en rends compte que j'avais une image "trop" parfaite de notre amitié (j'entends surtout par là la soi-disant amitié fusionnelle que j'avais avec elle).
    Et je crois qu'elle a compris aussi que rien ne serait plus comme avant parce qu'elle n'a plus sonné chez moi. On avait grandi, pas évolué de la même manière. Et je préfère avoir mes amies actuelles avec qui je ne suis pas fusionnelles, que je ne considère pas comme des soeurs mais qui sont plus fiables qu'elle.
    Même si c'est facile à dire, ne regrette pas ces deux amies et peut-être que si tu les recroiserais un jour tu comprendrais beaucoup de choses.

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  4. On m'a toujours dit que si quelqu'un passait dans notre vie c'était pour une bonne raison et s'il n'y était plus c'était également pour une bonne raison ...
    j'ai voulu retrouver ses amies partout de ces bonnes années puis ça a marché pour certaines et d'autres non....
    On avons discutés, on s'est racontés nos aventures, notre vie actuelle puis après les contacts s' eloignent, toujours la mais occasionnellement ...
    Nous avons évolués, nous avons pris des chemins bien différents... ce qui nous rapprochait a l'époque n'est plus maintenant ... enfin si !! il reste les bons souvenirs !! ;) ;)

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  5. Alors ne t'inquiète pas, on est tous/toutes passé(e)s par là (en plus les groupes de trois, hein, tu sais ce qu'on dit...).
    En effet,avec le recul on voit bien que les amitiés fusionnelles de l'adolescence/début de la vingtaine sont souvent et contre toute attente, les premières à passer à la trappe quand vient le moment des choix importants (carrière, mariage, maternité, déménagement à Pétaouschnok).
    Ce qui est un peu violent sur le coup (et même après), c'est clair, c'est d'avoir en plus l'étiquette de l'amie-devenue-pas-fréquentable aux yeux de ces ex-ami(e)s.
    Alors que personne en réalité n'est responsable dans l'histoire, c'est juste que le passage de l'amitié fusionnelle à l'amitié raisonnable a foiré, le socle de valeurs communes n'était pas assez solide à la base pour résister aux changements de la vie.
    Et puis, arrivé à l'âge adulte, il s'avère que tout le monde n'accorde pas/plus la même importance aux relations amicales, au bout d'un moment, on entretient avant tout sa carrière ou sa famille ou les deux et le reste a tendance à s'effilocher faute de temps ou d'intérêt, on se replie dans son cocon.
    C'est pas le cas pour tout le monde, mais c'est assez courant, il faut dire.
    Mais, pour rejoindre un peu ce que dit Delye, finalement, les nouvelles amitiés qui viennent après (oui on peut se faire de nouveaux amis à tout âge contrairement à ce qui est souvent dit), ces nouvelles amitiés moins fusionnelles, moins intenses, s'avèrent bien plus vraies et plus équilibrantes car dans ces amitiés-là, on se connaît mieux soi-même, du coup on choisit l'autre tel qu'il est, on accepte ses différences en toute connaissance de cause dès le début, au lieu de se confondre avec et de croire que l'autre est un autre Soi à qui se raccrocher (processus tout à fait normal quand on est tout jeune : l'union fait la force face à l'âge adulte qui s'annonce et tout ce monde inconnu.)
    C'est difficile d'admettre que nos amitiés "de jeunesse" se sont évanouies de la sorte, de ne plus en souffrir parce qu'on a l'impression que renoncer à ça, ce serait comme de mettre un point final à un morceau important de notre vie, la fin d'une époque, d'une certaine forme d'innocence, d'insouciance. Un genre de 5 avril 1994 ;). Mais le meilleur reste à venir...et à écrire. Tu es bien placée pour le savoir : il faut toujours plusieurs chapitres pour faire un vrai bouquin...:)

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  6. je ne psne pas que le problème soit de perdre une amie, ça arrive mais c'est de ne pas savoir pourquoi ! Comme je te comprends :/

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