La routine, ou intimité dans 30m²

Il se lève en premier. Toujours. Et je ne sais pas comment il se débrouille, mais il refait sa partie du lit et remet la couette bien en pla...

Il se lève en premier. Toujours. Et je ne sais pas comment il se débrouille, mais il refait sa partie du lit et remet la couette bien en place comme si personne n'y avait dormi, avant de descendre de la mezzanine par l'échelle en bois. Moi, je reste couchée. Je suis réveillée bien souvent mais je fais partie de ces gens qui aiment traîner au lit, le matin. Je tends la jambe vers son côté à lui, il a toujours quelques degrés de plus que moi, long cadavre aux pieds et mains gelés. Je sens sa chaleur. Je me tourne, me retourne. Parfois, je prends même son oreiller, forcement plus accueillant que le mien. Il n'allume pas la lumière, seulement son écran d'ordinateur qui lui sert de veilleuse. Je l'attends se rhabiller, une jambes dans le tissu rigide de son jean, puis l'autre. La boucle en métal de sa ceinture qui tinte contre le bouton. Mes oreilles deviennent mes yeux. Je laisse ma tête retomber sur l'oreiller. Je l'observe, les yeux fermés, je suis chaque gestes, chaque détails. Il met la bouilloire en marche, elle ronronne rapidement. Ouverture du placard. Tasse. Café soluble. Il jette un morceau de sucre dans la tasse, un deuxième. Je connais ses habitudes, la façon dont il prends son café, mais j'adore l'entendre faire. Anticiper le prochain son. Avoir raison. A chaque fois. Il est début, commence sa journée dans le noir. Je m'étire dans le lit, me rendors parfois, un instant, me perd dans ces courts rêves où l'on ne discerne pas ce qui est réel et ce qui ne l'est pas. Je les adore, ces rêves. La son de la bouilloire diminue, il verse l'eau dans sa tasse et s'installe à son ordinateur situé juste sous notre lit. Le cuir du fauteuil crisse. Quelques clics de souris. La page des actualités. Le froissement d'une feuille à rouler tirée de son étui. Le paquet de tabac. Je suis allongée au dessus de lui, comme un fantôme au dessus de son épaule. Je souris.



Depuis plus d'un an, je vis avec l'homme que j'aime.



J'ai résilié le bail de mon appartement pour m'installer dans le sien, un studio de 30m². Une salle de bain, une cuisine et une pièce qui nous sert de salon, bureau, chambre, salle à manger, salle de sport... Pour être dans le vrai, une télévision, une table basse, un canapé, un lit flottant à quelques dizaines de centimètres du plafond et un bureau avec un ordinateur caché en dessous, son territoire.



Avant que je n'emménage, on a décidé de faire une semaine crash-test. Je crois qu'on avait autant peur l'un que l'autre. De se faire bouffer par le manque d'espace. De se marcher dessus. De devenir fou et n'avoir qu'une envie, sortir prendre l'air en claquant la porte et peut-être même avoir envie de ne pas revenir.

Pourtant une semaine plus tard, moi et mes cinquante paires de chaussures, envahissions les lieux. Pour de bon. On vit ensemble. Collés l'un à l'autre dans un espace clos, une alcôve, un nid. En fait, ça fait un an que j'ai l'impression de vivre roulée dans une couverture au coin d'un feu de cheminée.



Je me lève, environ une heure après lui. Je descends l'échelle, je ne porte rien d'autre qu'une culotte. Il sort de sous la mezzanine, me prends dans ses bras, je l'embrasse pour lui dire bonjour. Tous les jours, je lui dis qu'il aurait pu allumer la lumière, quand même. Tous les jours, il me dit qu'il se débrouille très bien comme ça. Je vais m'habiller dans la salle de bain pendant qu'il ouvre les stores. Il retourne à son bureau, je m'installe sur le canapé avec ma tasse de thé.



Partout, je lis, j'entends, que la routine est la mort du couple. Que de l'habitude, naît l'ennui. Que sans mystère, il n'y a plus d'envie. Qu'il ne faut pas se laisser aller.

Je m'installe sur le canapé et j'y passe ma journée. Mon ordinateur portable sur les genoux, avec un livre ou penchée sur la table basse à travailler sur des dossiers. Il est à son bureau. Chacun fait ce qu'il aime faire et parfois aussi, ce qu'il doit faire. Dans un ballet silencieux, on se tourne autour, autour du canapé, je m'agrippe à son cou, un baiser sur la nuque. Une caresse sur l'épaule en allant à la cuisine. On mange sur le canapé, on regarde un film sur le canapé, je suis dans ses bras sur le canapé, je vernis mes ongles sur le canapé, j'ai de l'argile verte sur le visage sur le canapé. Des fois, je suis moche sur le canapé, pas envie de s'habiller, un vieux jean délavé, un chignon vite fait. C'est souvent à ce moment-là qu'il dit que je suis sexy, sur le canapé. On ne discute pas pendant des heures, sur le canapé. Mais on y fait l'amour. Des fois, on est a côté, sur le canapé, lui sur sa console, moi avec un livre, des écouteurs sur les oreilles. Des fois, on pourrait croire qu'on n'est pas dans la même pièce. Qu'on s'est oublié. Qu'on est vieux et cons. Mais il suffit d'un regard, d'une phrase, d'une main passée dans la dos pour savoir que ce n'est pas vrai.




Je dis qu'aimer et être aimer, c'est pouvoir se laisser aller à être soi-même. Que le seul mystère qu'il y a dans un couple, c'est l'inexplicable existence d'une envie qui ne disparaît jamais. Que le seul ennui serait de ne pas oser s'habituer à l'autre. S'habituer à lui faire confiance, s'habituer à ce qu'il fasse attention. S'habituer à ce qu'il soit là, tout le temps.



Il y a eu des tas de canapés. Des qu'on préférerait oublier. Mais j'ai toujours été une invitée, bien apprêtée, robe de soirée, même si ça durait des semaines, des mois. Pour la première fois, je suis chez moi. Avec lui, chez nous. Dans une jolie routine et avec des baisers auxquels j'aime m'habituer, en jean délavée, sur le canapé.

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10 commentaires

  1. Pfiou c'est trop bien écrit ! Et c'est mon quotidien et je trouve ça la plus merveilleuse des routines =)

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  2. Dans le foisonnement de blogs qui existe sur internet, il est très rare que je tombe sur un qui me plaît vraiment. Encore plus rare que je sois convaincue par un seul billet. Merci de m'avoir ajoutée parce que ça m'aura permis de découvrir ton blog ! Les deux premières phrases de la description m'ont suffi pour comprendre que j'allais aimer ton blog et ta manière d'écrire. Superbe billet ! Je vais aller lire les autres, maintenant...

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  3. Merci beaucoup! C'est le genre de compliment qui me fait très plaisir... J'espère que la suite te plaira aussi. Bonne journée!

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  4. voilà! c'est ça ce qu'on avait (dans notre 25 m2 puis 37)... je voudrai retrouver ça (avec les gosses en plus)... très joli billet!

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    1. Parfois j'en viens à redouter qu'il y ait plus de place, plus de pièces, plus de portes...mais c'est pas pour tout de suite alors ça va!

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  5. Ton article est superbement écrit, j'aurais aimé écrire aussi bien ma routine avec l'homme que j'aime qui ressemble énormément à la tienne (y compris pour l'appartement et sa disposition :-D).
    Je trouve que s'aimer c'est aussi ne pas avoir toujours besoin de se parler même lorsqu'on est côte à côte, il suffit d'une main glissée subrepticement dans le dos, même un quart de seconde, et on sait... On sait que c'est bon et qu'on est bien.
    Alors je me répète mais c'est vraiment très bien décrit et écrit :-)
    Bravo !

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  6. J'aime tellement cet article... Je m'y retrouve tellement - et d'ailleurs je me retrouve dans la plupat de tes posts. Tu ne serais pas ma jumelle des fois?

    Moi aussi je me lève après lui, moi aussi je reste à mi chemin entre rêve et réel. Moi aussi j'entends la bouilloire. Et quand il regarde ses résultats de match de foot sur le canapé, moi je me mets du vernis à ongles sur les pieds en lui demandant si l'odeur du dissolvant le gêne pas trop. Et quand il me prépare un repas, c'est sur le canapé qu'on le mange, en se disant chaque soir qu'on devrait peut être utiliser la table qui est là, dans le coin. Mais on ne le fait jamais. Là, il est parti au boulot. Alors je passe ma journée sur le canapé, l'ordi sur les genoux, comme toi. Etalé sur la table il y a ma tasse de thé, mon verre d'eau, mon portable, un bol de céréales pas terminé, un ticket de bus et du vernis à ongles. Et sur le canapé il y a moi, des vêtements qui attendent d'être rangés, mon manteau de la veille qui traine, et une flûte à bec - va compendre.

    Et aujourd'hui je suis tombée sur ton blog. J'arrive pas à décrocher, ça m'a arrêtée en pleine saison 5 de Breaking Bad, et j'ai carrément pas envie de remettre l'épisode en route...

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    1. Un plein épisode de Breaking Bad, carrément?? Là je suis flattée! :-D
      En tout cas, merci beaucoup pour ton message!

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    2. Ha ha eh oui carrément! T'as vu un peu la classe... Mais bon là, toujours sur mon canap', après avoir fait le tour de ton super blog, je me remets à l'épisode :)

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  7. J'avais oublier cet article, il me touche autant que la première fois que je l'ai lu !

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